I – Contexte et description des faits
Les 24 et 27 juin 2022, la communauté urbaine de Grand Poitiers et le conseil municipal de Poitiers délibèrent favorablement sur une demande de subvention émise par l’association Alternatiba Poitiers pour l’organisation du Village des Alternatives. Grand Poitiers accorde 5 000 €, la ville de Poitiers 10 000 €. Alternatiba souscrit au Contrat d’Engagement Républicain (CER), devenu obligatoire depuis janvier 2022.
Le 31 août 2022, le programme complet de l’événement est publié. Un des espaces du village, nommé « Quartier Résister », comporte des conférences et ateliers, dont une formation à la désobéissance civile non mentionnée dans les annexes envoyées aux collectivités.
Les 12 et 13 septembre, le préfet de la Vienne, Jean-Marie Girier, envoie un courrier aux élus pour dénoncer un manquement au CER, notamment aux engagements n°1 (respect de la loi) et n°5 (fraternité et prévention de la violence). Il demande le retrait des subventions, affirmant qu’il s’agit d’un appel à « un refus public de respecter la loi ».
Le 14 septembre, l’information est relayée dans la presse locale. Le 16 septembre, la maire de Poitiers Léonore Moncond’huy publie un communiqué dénonçant une mesure disproportionnée. Elle réaffirme le soutien à Alternatiba, évoquant une « conception de la République qui s’effrite » et rappelant l’histoire de la désobéissance civile.
Le 20 septembre, le ministre de l’Intérieur apporte son soutien au préfet. Le 21 septembre, Le Mouvement Associatif réaffirme son opposition au CER.
Le 30 septembre et le 3 octobre, les deux assemblées décident de maintenir les subventions. En réaction, le préfet saisit le tribunal administratif de Poitiers le 28 octobre via deux déférés, demandant l’annulation des subventions et leur restitution.
II – Procédure juridique et décision du tribunal
La Ville de Poitiers, Grand Poitiers et Alternatiba se constituent en défense. Ils reçoivent le soutien d’une coalition associative composée de :
- La Ligue des droits de l’homme,
- Anticor, La Cimade, Le MRAP, Le Gisti, Le Mouvement associatif, etc.
Le 9 novembre 2023, le tribunal tient audience. Le 30 novembre 2023, il rejette les déférés du préfet et valide la légalité des subventions accordées à Alternatiba.
Arguments rejetés par le tribunal
- Incompétence de la Ville : Le tribunal considère que le recours est tardif pour contester cela.
- Intérêt public local : L’invocation du préfet se base sur la loi du 12 avril 2000, alors que la requête est fondée sur le CRPA. Les fondements juridiques étant incohérents, le tribunal écarte ces arguments.
Analyse du manquement au Contrat d’Engagement Républicain
Le tribunal se concentre sur l’activité subventionnée (le Village des Alternatives). Il juge :
- Que le caractère cumulatif de l’engagement n°1 (manquement à la loi + trouble à l’ordre public) n’est pas rempli. L’atelier de désobéissance civile n’a causé aucun trouble à l’ordre public.
- Que seuls les propos d’intervenants extérieurs à l’association ont appelé à des actions à Sainte-Soline. Alternatiba ne peut être tenue responsable.
- Que l’événement dans son ensemble respecte le CER. L’atelier litigieux reste minoritaire dans la programmation.
III – Enjeux soulevés par l’affaire
Le jugement de Poitiers fait jurisprudence. Il affirme une lecture protectrice des libertés associatives face au CER. Le tribunal rappelle que l’expression d’idées (y compris la désobéissance civile) ne constitue pas en soi un manquement au contrat républicain, sauf si elle entraîne un trouble à l’ordre public.
Le tribunal n’a pas tranché sur le caractère légal ou non d’un acte de désobéissance civile. Il s’est borné à rappeler que la simple tenue d’un atelier ne suffit pas à caractériser un manquement. Il en ressort une lecture stricte et proportionnée du CER, s’inscrivant dans le sillage du Conseil d’État.
Cette affaire met aussi en lumière les tensions entre l’État et les collectivités locales, particulièrement dans un contexte de contestation environnementale autour de la gestion de l’eau (Saint-Soline).