I – Contexte et caractérisation des faits
Créé en 2003 suite à des propos antimusulmans de personnalités politiques et journalistiques, le CCIF est une association qui lutte contre « l’islamophobie ».
Elle intervient principalement à deux niveaux :
- un accompagnement juridique aux victimes d’actes islamophobes afin de les aider à faire valoir leurs droits ;
- la production de rapports et d’études qui recensent et analysent les actes, écrits et propos islamophobes afin de faire l’état des lieux de l’islamophobie en France.
Le CCIF s’est imposé comme un acteur incontournable de la lutte contre l’islamophobie, mais il fait l’objet de vives critiques, notamment dans le champ politico-médiatique. Il est accusé de vouloir interdire toute critique de l’islam au profit d’une idéologie « islamiste ».
Le 16 octobre 2020, Samuel Paty est assassiné à Conflans-Sainte-Honorine. L’enseignant avait montré à ses élèves des caricatures de Mahomet. Une campagne sur les réseaux sociaux appelle à saisir le CCIF. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin annonce la dissolution de l’association, qu’il accuse d’être « manifestement impliquée ».
Le 2 décembre 2020, le gouvernement dissout le CCIF. Mais l’association s’était auto-dissoute le 29 octobre, transférant ses actifs à des associations partenaires. Le contexte est aussi marqué par l’examen de la loi « confortant les principes de la République » (dite « loi séparatisme »).
II – Les justifications de la dissolution du CCIF
A – Implication dans l’assassinat de Samuel Paty
Le 19 octobre 2020, Gérald Darmanin accuse le CCIF d’être « manifestement impliqué » dans l’assassinat. Mais cette accusation disparaît dans le décret officiel du 2 décembre. Le Conseil d’État, dans sa décision du 24 septembre 2021, précise que le CCIF n’a aucun lien avec des actes terroristes, rendant invalide l’usage du point 7 de l’article L212-1 du code de la sécurité intérieure.
B – Proximités directes et indirectes avec l’islamisme radical
Le décret évoque la participation à des galas avec des personnalités liées à la mouvance islamiste, ainsi que la promotion de certains discours radicaux. Il mentionne des liens supposés avec les associations Ana Muslim et Barakacity. Il accuse aussi des membres d’avoir participé à des événements « interdits aux blancs ou aux non-musulmans ».
C – Incitation à la violence et à la discrimination
Le décret reproche au CCIF de qualifier d’islamophobes des mesures antiterroristes, ce qui pourrait « susciter des actes de haine ou de violence ». Il l’accuse aussi de diffuser ses propres statistiques, de publier des rapports biaisés, et de laisser en ligne des commentaires violents ou haineux.
III – Le CCIF répond au Ministère de l’Intérieur
Le CCIF publie deux réponses : un droit de réponse à la notification de dissolution et un communiqué final répondant point par point aux accusations.
A – Sur l’implication dans l’assassinat de Samuel Paty
Le CCIF confirme avoir été contacté par le père de famille mais sans entamer d’action. Le Conseil d’État confirme cette version, écartant toute implication directe ou indirecte dans l’attentat.
B – Sur les accusations de proximité avec l’islam radical
Le CCIF affirme être apolitique et areligieux. Il cite des experts comme Bernard Godard qui démentent tout lien avec les Frères musulmans. Il précise que certains invités critiquaient même le CCIF. Il dénonce des amalgames et des erreurs factuelles, comme la confusion avec le Conseil des Imams de France.
C – Sur les accusations d’incitation à la haine, la discrimination et la violence
Le CCIF explique ne pas pouvoir modérer certains réseaux sociaux, comme Twitter. Il dénonce des propos islamophobes sur la page Facebook de Gérald Darmanin. Il réfute l’existence d’événements « interdits aux blancs », et rappelle que des personnes de toutes confessions y ont participé.
Concernant les accusations de ne pas avoir condamné certains attentats, le CCIF affirme condamner toute violence sans ambiguïté. Il défend également sa définition de l’islamophobie comme alignée sur celle d’organismes internationaux. Il rappelle que son travail est reconnu par l’OSCE, l’ONU, ou la Commission Européenne.
IV – Décryptage juridique et historique de l’arrêt du Conseil d’État
Le Conseil d’État valide la dissolution du CCIF le 24 septembre 2021, sur les bases des points 6 et 7 de l’article L212-1 du code de la sécurité intérieure.
Il reproche au CCIF de tenir des propos accréditant l’idée d’une hostilité de l’État envers l’islam. Il évoque aussi des liens avec des figures de l’islamisme radical et des déclarations mal interprétées de Marwan Muhammad.
Le Conseil d’État évoque aussi un défaut de modération des réseaux sociaux. Pourtant, ces plateformes ne permettent pas toujours de supprimer des commentaires externes. Le gouvernement a d’ailleurs modifié la loi quelques mois plus tard pour engager la responsabilité des dirigeants associatifs sur ces points.